La chronique d'Albert

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Friday, November 07, 2008

Contrepoint… 1er Avril 1990
enregistrement des sonates pour violon seul de Bach est toujours un événement qui marque profondément ceux qui ont la chance d’y participer.
Les nouvelles techniques de prise de son autorisée par les matériels actuels permettent enfin de donner aux enregistrements de cette musique toutes les qualités nécessaires, contrairement à ceux effectués jusqu’alors, il faut le dire, bien poussiéreux.
L’interprète choisi, Boris Vladivoski, est encore peu connu malgré son grand talent. Il fut pourtant lauréat au concours Chopin en 1933.
L’écoute et le choix de l’instrument sont notre premier souci et nous apportent notre première déception Boris possède deux violons, un Stradivarius de 1734 (première moitié du second trimestre) et un Amati de 1645. Les sons de ces instruments nous paraissent bien mièvres à côté des sons électroniques actuels.
Nous choisissons quand même l’Amati qui sonne plus présent que le Stradivarius aux couleurs sonores trop connues et il faut bien le dire, très banales.
Nous disposons d’une grande quantité de microphones de toutes sortes. Mais après de nombreux essais, nous avons dû les éliminer car aucun ne permettait de séparer suffisamment les sons directs de l’ambiance du studio, aussi nous décidons d’utiliser des capteurs placés directement sur les cordes, ce qui nous permet de plus de les traiter indépendamment les unes des autres. Cette décision déclenche une série de protestations violentes du musicien qui se plaint de la gêne que lui amène le poids supplémentaire de l’installation de notre matériel sur son instrument, Il est triste de constater l’incompréhension et le manque de collaboration de certains interprètes. Un compromis est cependant trouvé : Les liaisons capteurs-console de prise de son seront réalisées par fibres optiques.
L’écoute en studio en confirmant notre première impression à l’écoute directe, nous atterre: pas de basses, pas de volume, est-ce la fin des instruments acoustiques? Il nous faut mettre au point une stratégie audacieuse et nous donner les moyens de rectifier tous ces défauts. Dans un souci d’économie nous n’utiliserons qu’un 24 pistes:
4 pour chacun des- capteurs des quatre cordes;
4 pour les effets spéciaux affectés à chacun des capteurs;
4 pour deux chambres de réverbération stéréophoniques;
2 pour une batterie électronique;
4 pour la spatialisation de chaque corde;
4 pour l’asservissement des - différents appareils de traitement.
L’adjonction d’une batterie électronique nous a paru indispensable afin d’affirmer, de préciser le rythme. Nous avions entendu un essai de cette nature dans un enregistrement d’un trio de Mozart soutenu par une batterie acoustique très efficace ; la batterie électronique est encore plus précise et donc mieux adaptée. Il serait difficile de relater par le menu tous les traitements successifs employés, en gros les corrections sont de deux ordres, celles concernant chacune des cordes et celles concernant l’ensemble:
Les notes fournies par la corde de sol sont étoffées par un effet chorus qui leur donne l’ampleur et la profondeur de celles d’un violoncelle.
Les notes des cordes la et ré sont plus particulièrement soutenues par une réverbération variant entre 0,3 et 0,9 secondes avec un retard de 30 à 120 millisecondes.
Quant à la corde de mi le son un peu terne qu’elle produit est corrigé par une charge supplémentaire en harmonique, une réverbération très claire de 0,8 à 0,94 secondes et même, à de rares moments, un effet de répétition magnétique, tout ceci afin de donner l’éclat et la brillance nécessaire.
La disposition sur quatre pistes permet de suivre et de rectifier à tout moment l’équilibre des cordes entre elles, ce qui constitue sans doute une première dont nous ne sommes pas peu fier.
La spatialisation, vous l’imaginez, a demandé tous nos soins. La répartition dans l’espace des divers sons successifs et de leur image traitée est la principale qualité des enregistrements actuels. Nous avons opté pour une solution simple afin de ne pas charger l’ensemble.
Les sons des cordes mi et sol évolueront sur deux cercles concentriques tournant en sens inverse et encadreront ceux des cordes la et ré qui, eux, suivront deux courbes de Lissajoux entrecroisées. L’évolution dans le temps de cette spatialisation étant bien entendu contrôlée par ordinateur. Ainsi, l’auditeur pourra facilement suivre l’évolution musicale.
Evidemment cette préparation soigneuse limite les difficultés de mixage qui se réalise rapidement.
Après une longue semaine de travail, toute l’équipe assiste à l’écoute des premiers éléments en présence du directeur de la firme de disque qui, très satisfait, n’hésite pas à nous déclarer:
"Bravo les enfants, c’est presque aussi beau que du Jean-Michel Jarre."
Nous ne pouvons retenir une larme d’émotion devant un tel compliment et, regonflés, conscients de - notre responsabilité envers les futurs auditeurs, la musique et Jean-Sébastien Bach, nous nous apprêtons à attaquer la deuxième semaine par l’enregistrement de la deuxième mesure.
Albert Laracine

3 Comments:

Blogger Quentin said...

Bonjour,

Après avoir lu des choses très intéressantes sur le couple ORTF, je suis très étonné de cet article et de la façon de procéder pour enregistrer quelque chose d'aussi simple que des pièces pour violon seul.
Votre démarche était-elle celle de l'expérimentation volontairement "futuriste" ? Cela me semble à l'opposé des questions qui ont abouties à la conception du coule ORTF, à savoir une relative simplicité pour une grande cohérence.

Cordialement,

Quentin

3:59 AM  
Blogger Quentin said...

Mais peut être n'ai-je pas saisi le second degré dans ce discours ?

5:35 AM  
Blogger ericbottinkervigo said...

Bonjour et bravo pour ce texte décapant et plein d'humour dont les détails techniques ne sont peut-être pas si éloignés des tripatouillages entendus sur certains enregistrements.

salutations d'un chasseur de sons.

Eric Bottin. (de Bretagne)

11:27 AM  

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